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Présentation du Théâtre de l’Enfumeraie *

 » Le théâtre est un lieu de passage entre plusieurs mondes, d’autant plus riche et étonnant, lorsqu’il permet des rencontres hors du temps et de nos habitudes. Il devient merveilleux lorsque nous y trouvons sur la scène et/ou dans la salle cette chose que seul nous n’aurions jamais pensé chercher… »

A l’origine, un regroupement de comédiens amateurs de la Sarthe pour défendre, en 1979, Vaclav Havel emprisonné en Tchécoslovaquie. Ils montent le spectacle de son procès. De cette rencontre naîtra une troupe. Elle devient professionnelle en 1982. Une ville l’accueille, lui offre un théâtre. La nécessité des origines, celle de défendre toujours des valeurs, la liberté d’écrire son histoire restent jusqu’à aujourd’hui une raison d’être.

Fondée il y a bientôt 35 ans, le Théâtre de l’Enfumeraie* anime un lieu de création : le théâtre de Chaoué à Allonnes. Les créations de ce théâtre se sont développées sans le souci de défendre ou de s’enfermer dans une forme artistique mais bien plutôt avec un désir permanent d’ouverture et de découverte. Ainsi, les comédiens de cette compagnie ont tenté l’expérience de spectacles de création sans texte, des mises en scène d’auteurs classiques et contemporains, des spectacles de cabarets, de contes, de marionnette, de chansons…

La création s’est toujours accompagnée d’un travail de formation auprès de grands maîtres comme Jacques Lecoq, Ludwig Flashen, Monika Pagneux, karuna Karamandalam, Sergeï Afanasiev… et prochainement Mario Gonzales…

Au fil des années, les comédiens de ce théâtre ont essaimé et donné naissance à d’autres groupes, le théâtre de Chaoué est aussi devenu un lieu de formation pour acteurs professionnels et un lieu de résidence de création pour des metteurs en scène invités.

Ouvrir cet accueil vers des groupes étrangers aussi bien que de la région est une volonté et depuis l’origine de ce lieu plus d’une cinquantaine de nationalités sont venues travailler et jouer.

Parallèlement à ces activités, les comédiens de ce théâtre ont tissé sur la cité d’Allonnes où ils vivent des liens particuliers et privilégiés avec les habitants. Ainsi des pratiques amateurs multiples de l’école à l’hôpital ou encore une maison de retraite sont reconduites d’année en année. Des projets permettant d’accueillir dans des conditions professionnelles des chômeurs de la cité pendant un an ou plus ont donné lieu à des créations de grande qualité qui sont revendiquées au même titre que les autres spectacles comme faisant partie de l’histoire et de l’œuvre singulière de ce lieu de travail.

Ce théâtre revendique un art ouvert à tous, ainsi l’entrée de tous les spectacles est gratuite. Cette condition si elle n’est pas suffisante nous paraît nécessaire pour une salle vivant au sein d’une banlieue « défavorisée » où les Restos du Cœur distribuent chaque hiver dans les locaux voisins 1200 repas gratuits par jour dans une ville de 12000 habitants… Le droit au pain de la bouche et au pain de l’esprit nous semble un droit humain élémentaire. Chacun donne a la sortie en fonction de ses moyens.

Enfin le Théâtre de l’Enfumeraie possède une maison d’édition où une vingtaine d’œuvres théâtrales originales sont publiées à ce jour.

* Théâtre de l’Enfumeraie, pourquoi ce nom ?

L’Enfumeraie est un mot mystérieux, voire bizarre ou même « fumeux » pour un théâtre. Il a une histoire particulière. Il y a dans ce choix un hasard et une nécessité. En 1982 alors que notre groupe théâtre encore amateur cherche un lieu où vivre et travailler pendant l’été, le grand père d’un de nos comédiens nous prête une maison dans un village. Ce vieux Monsieur s’appelle « Molliere » (avec deux L) ! La maison en lisière de la grande et belle forêt de Bercé dans la Sarthe est situé sur le lieu dit « L’Enfumeraie ».
Après plus d’un mois de vie commune , il est temps de donner naissance à notre premier spectacle, vite il faut trouver un nom à notre troupe. Au terme de fumeuses discussions aucun consensus ne se fait jour dans notre communauté, alors un peu par défaut, un peu par sentimentalisme lié à la Nature qui nous a vu naitre, ce sera l’Enfumeraie. A l’époque nous sommes une compagnie qui veut « vivre et travailler au pays », là où presque tous les acteurs sont nés, une troupe qui joue dans les salles des fêtes, dans les arrières salles de bistrot ou sur la place de l’église, à la belle saison. L’Enfumeraie est un nom de notre campagne, il est simple et naturel à porter, il est acte et lieu de naissance. Et puis l’Enfumeraie, propriété d’un Monsieur Molliere… Il n’ y avait pour nous pas de doute. Quinze ans plus tard, en 1996 ou 97, je ne sais plus, notre théâtre a déjà bien changé. Il a voyagé, rencontré des artistes du monde entier et vit désormais dans un de ces lieux sinistrement appelé « banlieue », lieux mis au ban, pour bien signifier l’exclusion. Toujours est-il que « Enfumeraie » dans ce moment commence à perdre son sens. Les membres fondateurs de notre première communauté se sont séparés, loi des cycles de nos métiers, fondant d’autres groupes, loi des cousinages de la « grande famille du théâtre »… Nous jouons en ville plus souvent qu’à la campagne, la Cité occupe nos esprits, je pense à trouver un autre nom, à changer d’identité…
Et puis un matin, je reçois une lettre, elle nous est adressée par un garde forestier. Il vit dans la forêt de Bercé, sa maison est à deux pas d’un lieu dit nommé « l’Enfumeraie ». Il s’interroge : « Y a t-il une relation entre votre nom et ce lieu ? » En lisant cette question, je souris. Puis vient une autre question : « Savez vous que pendant un siècle, de la moitié du XIXème jusqu’au début de la seconde guerre mondiale , le lieu dit l’Enfumeraie, situé sur une ancienne carrière, était un site réservé aux fêtes du village, on y donnait les pièces de théâtre, on y dansait, on y célébrait le quatorze juillet… Depuis la forêt à repris ses droits, les arbres ont repoussé mais on peut encore observé, pour qui est attentif, au-delà du chemin qui mène à la maison et pénètre dans le bois, le demi cercle que formait la carrière avec son mur de sable au fond.» J’ai pris ma voiture et je suis allé sur place. J’ai rencontré cet homme et il m’a fait (re)visiter cet endroit où je n’étais plus allé depuis quinze ans. J’ai vu l’amphithéâtre sorti de cette carrière, aujourd’hui envahi de végétation. J’y ai entendu l’écho de ma voix et l’acoustique exceptionnelle. Et puis un hasard ne venant jamais seul, nous étions en train de préparer « Le songe d’une nuit d’été ». Nous sommes allés y répéter, de jour et de nuit. Cet espace était vraiment merveilleux, il s’y dégageait une beauté et une énergie que les acteurs ressentaient… Je ne me suis plus senti le droit de changer de nom, l’Enfumeraie était sorti des brumes en quelque sorte. Je me suis souvenu d’un livre lu il y a longtemps, « Le hasard et la nécessité ». Depuis cette philosophie ne m’a plus quittée. Je suis moins impatient, moins inquiet aussi face aux doutes devant nos choix parfois bizarres. Il faut savoir attendre pour comprendre, les choses s’éclairent et prennent sens sans que l’on s’y attende, la vie est né de ce « hasard et de cette nécessité ». On ne choisit pas son identité, il faut apprendre à la porter, elle a une mémoire qui nous dépasse…